Centre d'Etude des Plurilinguismes (I.D.E.R.I.C.) Agence de Coopération Culturelle et Technique Etude et gestion du multilinguisme pour le développement dans l'espace francophone Norme endogène et normes pédagogiques en Afrique noire francophone Rapport d'étape Contrat CIRELFA 13.04.91 B U. NICE lllllllllllllllllllllll 099 0000027 C. WS Etat de la recherche 1. Difficultés rencontrées La mise en application du programme approuvé au début de l'année 1990 par le CIRELFA et précisé lors du séminaire tenu à la Baume-les-Aix du 7 au 9 juillet 1990 a été entravée par la situation politique confuse et parfois cahotique qui s'est instaurée en Afrique au cours de cette même année. Des troubles graves se sont produits sur les campus universitaires au Cameroun, en Côte d'Ivoire et en Centrafrique. Ainsi avons-nous dû renoncer à l'enquête prévue au Congo et à celle qui avait été un moment envisagée en Guinée. Madame M. Wenezoui n'a pas pu rejoindre, comme il était prévu, l'Institut de Linguistique Appliquée de Bangui ; pour cette raison, M.A. Queffelec a effectué en avril et mai 1991 une mission en Centrafrique au lieu de se rendre au Congo comme il l'avait projeté. Une autre conséquence a été la désagrégation des équipes localement constituées, de telles circonstances n'étant guère favorables à une recherche objective dans des domaines (aménagement linguistique, communication, enseignement) qui même en temps normal ne peuvent être abordées qu'avec circonspection. Les chercheurs n'ont pu réunir qu'un petit nombre de collaborateurs et leurs possibilités d'investigation s'en sont trouvées réduites. Elles l'ont été d'autant plus que le budget initialement prévu a subi d'importantes amputations. La troisième tranche 1990 (20.000 francs) a été supprimée par le contrôle financier de l'ACCT en raison de l'incompatibilité entre le calendrier primitivement établi pour le programme et accepté par le CIRELFA (1er juillet 1990 - 30 juin 1992) et les usages administratifs de l'Agence. Il nous a été révélé que des crédits reçus respectivement le 25-07-90 (1ère tranche) et le 22.11.90 (2e tranche) auraient dû être intégralement dépensés avant le 31.12.90, contrainte qui ne nous avait pas été notifiée et de toutes façons contraire à une saine économie de la recherche. D'autre part, au terme d'une longue négociation, la Direction des Services Fiscaux a exigé le versement de la TVA (soit 17.397 fr.) sur les sommes allouées par l'ACCT, arguant que : "les prestations auxquelles s'applique la taxe à la valeur ajoutée sont celles qui comportent la fourniture par le bénéficiaire du service d'une contrepartie, que les opérations soient effectuées ou non dans un but lucratif ou spéculatif, dans la mesure où elles relèvent d'une activité économique. Tel est le cas notamment des travaux d'étude et de recherche, quel que soit leur objet" (lettre du 14 mai 1991, S AD 97/91). La réduction du budget pour la première année d'application du programme a donc été de 28%. En conséquence, les indemnités pour frais de recherche (fonctionnement, déplace¬ ments, transcription des corpus, rétribution des informateurs) ont dû être limitées à 2.000 fr. (100.000 fr. CFA) par site d'enquête en Afrique. Une mission, celle de Madame de Féral au Cameroun, a été supprimée et les crédits attribués à la mission en Centrafrique également réduits ; cette mission n'a pu avoir lieu que grâce au concours de l'Université de Bangui qui a pourvu au logement de M. Quéffelec. 2 2. Travaux en cours. Le bilan des recherches effectuées a été dressé au cours d'un second séminaire qui s'est tenu, comme le précédent, à la Baume-lès-Aix les 7 et 8 juillet 1991. Il est apparu qu'en dépit des difficultés précitées, les résultats obtenus autorisaient l'esquisse d'une politique d'aménagement de l'enseignement du français en Afrique. La situation financière étant cette année moins défavorable que précédemment, on peut légitimement espérer que les travaux entrepris pourront être poursuivis sur une plus grande échelle, si du moins les conditions locales ne s'y opposent pas. En l'état actuel, des enquêtes sont en cours au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Cameroun ; Ph. Poutignat doit se rendre en Centrafrique pour six semaines au mois d'octobre. Les deux configurations sociolinguistiques majeures qui ont été identifiées et définies au cours de la première phase de mise en oeuvre du programme demeurent suffisamment représentées : celle où le français se trouve en relation de stricte diglossie avec une ou plusieurs langues africaines de grande communication par le Sénégal et la R.C.A., celle où il déborde plus ou moins largement les limites qui lui sont institutionnellement fixées par la Côte d'Ivoire, le Cameroun et le Burkina-Faso. D'autre part, des corpus de français oral et écrit, partiellement transcrits, sont dès à présent disponibles pour le Burkina-Faso, le Cameroun, la Centrafrique, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et le Zaïre. Les manifestations de la norme endogène Les hypothèses formées préalablement à la mise en application du programme se sont trouvées dans l'ensemble vérifiées. Il est apparu que la norme endogène ne faisait que très rarement l'objet de représentations conscientes, mais qu'elle se manifestait couramment par la revendication de la normalité de l'usage local, hors des situations et des domaines où l'obligation de se conformer aux prescriptions du modèle scolaire est communément admise. Même s'agissant de langage châtié, la légitimité d'une certaine spécificité africaine est affirmée. Ce sont les attributs de cette spécificité qu'on a tenté de discerner et de décrire. 11 a été fait état ci-dessus de l'opposition entre les deux configurations sociolinguisti¬ ques majeures qui déterminent les aires d'émergence de la norme endogène. Quant aux valeurs qui la fondent, il faut prendre en considération un autre facteur qu'est l'uniformisation croissante de son univers de référence. Quelle que soit la position qui lui est assignée sur le plan social et politique, le français est habituellement utilisé par des gens qui participent à quelque degré à une même civilisation africaine moderne caractérisée par une urbanisation rapide, par le recours à des techniques de production et de consommation nouvelles, par le nivellement des genres de vie qui s'effectue aux dépens des particularismes ethniques et régionaux. Les cultures traditionnelles ne sont pas annulées, mais refoulées au niveau des manières d'être et des modes de pensée. Elles informent un habitus qui se traduit, entre autres, par le statut éminent qui demeure reconnu à la parole. Ainsi la recherche se poursuit-elle sur deux plans différents, celui de la différenciation et celui de l'unicité. Le premier concerne les usages locaux en matière de prononciation, de 3 lexique et de phraséologie, soit tout ce qui ressortit à la pérennité des habitudes acquises. Le rôle du substrat y est prédominant. En outre, ces traits sont de ceux sur lesquels s'exerce efficacement le contrôle des locuteurs et qui sont appelés, pour cette raison, à acquérir une signification sociale, selon une systématisation variable dans l'espace et dans le temps. C'est en ce sens qu'on peut parler d'un français camerounais, sénégalais ou ivoirien. Ces divergences locales mises à part, on constate dans la pratique des locuteurs africains, quelles que soient leur origine et leur compétence, des analogies trop nombreuses et trop singulières pour pouvoir être imputées au hasard ou à la résurgence d'éventuels universaux. Ces analogies, qui ont conduit divers auteurs à postuler l'existence d'une norme "interafricaine", n'ont pas encore fait l'objet d'un relevé systématique semblable à celui qui a été effectué pour le lexique sous l'égide de l'AUPELF. On peut cependant constater dès maintenant qu'elles sont de trois sortes. Une partie d'entre elles, comme par exemple la fréquence des constructions thématiques, ressortissent à l'oralité ; on expliquera également ainsi le recours fréquent aux indices fournis par la situation ou aux présupposés pour pallier les insuffisances de la structuration grammaticale ; d'autre part, le souci de la cohérence sémantique l'emporte souvent sur le respect des règles, comme dans l'expression "on sont contents" où la multiplicité du réfèrent est marquée aux dépens de la règle d'accord. D'autres analogies peuvent être classées sous la rubrique "fonctionnalisation" : des servitudes grammaticales sans utilité pour la transmission de l'information référentielle sont supprimées ; bon nombre de "fautes" dans l'emploi des modes et des temps verbaux sont justiciables de cette interprétation. 11 va de soi que ces écarts sont constatés principalement dans les emplois vernaculaires du français ; mais il en est d'autres, un ensemble confus de traits apparemment hétéroclites, morphosyntaxiques et lexicaux, qui sont communs à toutes les formes du français d'Afrique et qu'on ne peut sans arbitraire imputer aux catégories précédentes. L'hypothèse est que ces traits résultent de l'opération de mécanismes préalables à la structuration qu'impose au locuteur le choix du code grammatical français ou bien de modes particuliers de mise en oeuvre de ce dernier. Il est vain par conséquent d'espérer dégager par le moyen d'un inventaire exhaustif les linéaments d'un système. La seule démarche efficace est de rechercher le principe commun à des singularités éparses, mais récurrentes ; ainsi, par exemple, la prégnance d'une opposition de générique à spécifique, fréquemment attestée, sous des formes diverses, dans les langues négro-africaines, est-elle supposée rendre compte à la fois d'une apparente incohérence dans l'emploi des déterminants de et des dans l'usage zaïrois, de la suppression de l'article devant les sigles, assimilés à des noms propres, en Côte d'Ivoire et de la présence insistante de l'article défini, au Cameroun et ailleurs, là où le français standard utiliserait des déterminants plus précis ("voici l'adresse (mon adresse)"). Tout se passe comme si le trait marqué par priorité était le caractère individuel ou catégoriel du réfèrent. De même certains écarts devront être décrits non par rapport aux formulations "correctes" qui leur correspondent, mais en tant que révélateurs de procédés d'organisation de l'information différents de ceux qui nous sont familiers. "C'est ma première fois de prendre l'avion" n'est pas une approximation fautive de "c'est la premièrre fois que je prends l'avion", mais l'effet d'une double focalisation, la mise en relief simultanée de la nouveauté de l'événement et du sujet concerné. Cette double focalisation exigerait dans l'usage standard un clivage : "moi, c'est la première fois que je prends l'avion" qui, s'ajoutant à la construction relative, dissocierait ce que le locuteur africain perçoit comme indissociable. D'une manière générale, les conventions de construction du récit et du discours devront être prises en compte. Il n'est pas insolite que l'orateur rapporte au style 4 direct l'opinion qu'il prête à la personne dont il parle : au cours d'une conversation entre journalistes zaïrois, récemment enregistrée, l'un des interlocuteurs, parlant du Comte de Paris, déclare sans déconcerter son auditoire : "mais lui sait que je suis de sang royal", où "lui" et "je" ont le même réfèrent. D'autre part, une expression telle que "il est devant l'arbre" ne désigne pas la même position relative selon que l'arbre est supposé faire face à l'observateur ou au contraire, comme c'est souvent le cas au sud de la Méditerranée, "regarder" dans le même sens que lui. Les faits d'énonciation et en particulier la deixis personnelle et spatiale devront faire l'objet d'une étude attentive ; ils sont probablement responsables de bien des "particularités" qui témoignent seulement de l'unité et de la spécificité de la civilisation qui les fonde, ainsi que de l'intensité de 1 appropriation dont le français est l'objet. Propositions pour l'établissement de normes pédagogi¬ ques Comme l'a montré P.Dumont dans un ouvrage récent, le français en Afrique est devenu à bien des égards une langue africaine. Il n'est donc pas question de remettre en cause cette africanité dans les domaines où elle s'exerce, hors du terrain de la grammaticalité: ceux de la catégorisation de l'expérience, de la mise en forme du message, de l'énonciation. Pour ce qui est de l'aspect formel de la langue, le problème se situe au niveau des usages mésolectaux, jusqu'ici réprimés sans discrimination par l'institution scolaire. Il faut amener celle-ci à faire le départ entre ce qui est légitime et ce qui doit être réformé. L'usage local, admissible en tant que vernaculaire, ne peut être généralisé ; mais il peut servir de point d'appui à une pédagogie qui enrichirait progressivement et méthodiquement la compétence des élèves en leur procurant les ressources nécessaires pour satisfaire aux exigences de situations de plus en plus diverses, l'objectif utiime demeurant la maîtrise du français académique, réservé à l'écrit et au langage châtié. Il convient de récapituler brièvement les constatations qu'autorise l'état présent de la recherche : - partout en Afrique, à l'école plus qu'ailleurs, le français coexiste avec d'autres langues et d'autres cultures, notamment langagières avec lesquelles il entretient des contacts parfois conflictuels mais pas nécessairement ; - partout en Afrique, et malgré l'importance des efforts économiques consacrés par les Etats au développement de l'Education (+ de 30% des budgets nationaux depuis plus de 30 ans), on constate une baisse de niveau en français et un taux important de déperdition scolaire ; - une constatation émerge encore plus que les autres, c'est l'inadéquation de l'école aux situations africaines tant dans son fonctionnement (et du fait de la non-prise en compte des langues en présence) que dans sa conception (mythe de l'école de Jules Ferry, sacro-sainte maîtrise de l'orthographe, fétichisation de l'écrit littéraire). Ces constatations faites, on peut dégager un certain nombre de traits communs à 5 l'ensemble des situations africaines qui ont été évoquées, de nature à orienter les recherches futures en matière de normes pédagogiques et à permettre de mieux définir, de mieux préciser les propositions que l'on attend des chercheurs : 1. En Afrique, dans l'usage mésolectal qui a été pris pour référence, c'est l'efficacité de la communication qui prime et non la conformité à la norme : il s'agit donc de rendre compte d'une autre utilisation du français et non de stigmatiser une mauvaise maîtrise de la langue, d'où une remise en question du mythe de l'école et une nécessaire désacralisation du français, ce qui facilitera par ailleurs la mise en place de politiques scolaires et linguistiques non conflictuelles. 2. Statut de la parole en Afrique (insécurité linguistique mais aussi et de façon à la fois contradictoire et complémentaire magie du VERBE). 3. Manière africaine de voir les choses (la visée africaine) qui tend, on peut le souligner au passage, vers une homogénéisation de nature à faciliter la tâche du méthodologue (urbanisation, utilisation particulière des langues africaines pidginisées et reconstruction parallèle du français qui subissent donc le même type de traitement). 4. Nécessité de prendre en compte le discours africain qui n'est pas assez connu (qu'en est-il de l'existence et surtout de la connaissance de la ou des rhétoriques africaines ? De la mise en place de stratégies argumentatives différentes selon que l'on s'exprime dans sa langue maternelle - où l'on a recours très souvent à une espèce de stratégie en spirale - ou en français ? De l'organisation cartésienne en thèse, antithèse et synthèse qui ne correspond à rien dans le discours africain où l'on commence généralement par donner entièrement raison à son interlocuteur même si c'est pour finir par exprimer, sous forme plus ou moins allusive, une position diamétalement opposée à la sienne ?) 5. Revendication identitaire qui s'appuie sur une légitimation de la norme mésolectale qui devient le Bon Langage (celui des Africains) encore que tous les pays d'Afrique ne semblent pas concernés par cela (le Sénégal par exemple où le wolof occupe la place d'une langue véhiculaire et où le français, du moins officiellement et dans la mentalité collective sénégalaise, est toujours considéré et valorisé, sinon valorisant, exclusivement dans son usage - ou plus exactement la représentation de celui-ci - académique). Les descriptions en cours permettent de dégager trois grands types de caractérisation de l'usage mésolectal : - l'innovation référentielle qui se manifeste par l'apparition de particularités lexématiques sans cesse renouvelées et qui justifient à elles seules la poursuite d'enquêtes purement lexicales, par exemple dans la perspective de l'Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire ; - la variabilité conçue en termes d'acceptabilité sociale ; - le fait que l'intention sémantique l'emporte toujours sur l'application des règles, ce phénomène apparaissant très nettement à la lumière de la fonctionnaiisation des structures (Ex. redistribution sémique, absence de détermination, indifférence à la transitivité, simplification sémantique et syntaxique : utilisation de verbes à forte valence, effacement des anaphoriques, etc.). 6 Du point de vue des normes pédagogiques, les propositions suivantes peuvent être faites. Toutes vont dans le même sens puisqu'elles visent à gommer la rupture entre énoncé et énonciation qui caractérise les situations actuelles. Comment ? 1. En prenant en compte les besoins des Africains par l'étude des situations de communication authentiques (celle de l'école en est une) ; 2. En prenant en compte les besoins des enseignants, compte tenu de leur niveau (rédaction de fiches d'auto-formation qui viendront enrichir les futurs livres du maître très importants dans toutes les entreprises de rénovation pédagogique - et pas seulement en français - en cours dans de très nombreux Etats africains) ; 3. En partant du connu, du vécu linguistique de l'apprenant, c'est-à-dire de la réalité linguistique qui l'entoure ; 4. En permettant la prise de conscience du français africain (prise de conscience et mesure de l'écart) pour mener l'apprenant, à travers une progression qui est à discuter, à une véritable maîtrise des usages du français. Quels sont les problèmes à résoudre et les directions vers lesquelles engager les recherches futures ? - Faire en sorte que les décideurs pédagogiques acceptent les propositions des linguistes relatives à l'émergence d'une norme endogène; 11 ne s'agit pas de proposer une méthode mais de sensibiliser les responsables de l'Education à cette nouvelle approche de l'enseignement du français prenant en compte les réalités linguistiques, le vécu de l'apprenant et prônant une attitude faite de tolérance plus que d'impératifs, ce qui suppose que l'enseignant lui-même soit parfaitement informé sur la norme. - Prendre conscience que l'émergence de la norme endogène correspond à une nouvelle mission du français en Afrique qui consiste à permettre l'engagement du locuteur africain dans sa parole. Cette conception nouvelle renvoie à l'organisation de rapports sociaux nouveaux et, en particulier, à une conception nouvelle de l'insertion de l'école dans le milieu social africain. - Eviter de tomber dans le travers qui consisterait à hiérarchiser les normes mais, au contraire, donner accès à la diversité des usages. - Ne pas oublier toutefois que le français demeure pour beaucoup et dans la plupart des situations africaines un instrument de catégorisation sociale. - Prendre en considération le fait que les enseignants ne tolèrent généralement que la norme écrite (fétichisation de l'écrit en Afrique) qu'ils ne respectent plus eux-mêmes (Ex. C'est Ja première fois que je viens ici remplacé par c'est ma première fois de verni ici, exemple cité par de nombreux collègues dans différents pays). - Prendre en considération le fait que l'usage oral quotidien (c'est-à-dire la norme) est un usage africain neutre qu'il faut cerner correctement : ne pas écraser cette norme endogène jusqu'au basilecte. - Réussir, par conséquent, à se libérer de la domination de la norme écrite en repensant la distinction oral/écrit très lourde de conséquences pédagogiques en Afrique, contrairement à ce que pensent de nombreux méthodologues occidentaux. En effet, à une rhétorique de la disposition à laquelle est familiarisé l'enseignement traditionnel du français (par la pratique 7 d'exercices académiques comme la dissertation, le commentaire compose ou le résumé, qui continuent de prévaloir partout en Afrique) doit être opposée une rhétorique de l'élocution fondée sur l'étude du fonctionnement de l'oral africain dont on ne peut faire l'impasse au moment du passage à l'écrit. C'est ainsi, par exemple, que des études sur la ponctuation dans les textes français écrits par des locuteurs africains seraient très certainement riches d'informations sur les modalités de fonctionnement du discours africain endogène. - Insister sur la nécessaire perception de la variation des registres, dimension jusque là absente des systèmes éducatifs africains par trop conservateurs et centralistes du point de vue de l'usage normé ou prétendu tel. - Définir les deux pôles extrêmes du continuum qui constitue l'usage africain du français : la conceptualisation d'une part et la pratique basilectale de l'autre (ce que d'aucuns nomment la valeur d'usage et la valeur d'échange comme dans l'exemple suivant où l'on se trouve en présence d'un fonctionnement sémiotique endogène parfaitement acceptable puisqu'il reflète une conceptualisation particulière et non un usage défaillant, c'est une production spécifiquement africaine de sens : les ménagères s 'éloignaient de la pénurie. - Prendre en compte, du fait de la différence de statut accordé à la parole dans les sociétés occidentales et africaines, une autre distribution des fonctions du langage dans les sociétés à tradition orale où par exemple la fonction phatique joue un rôle beaucoup plus important que dans les autres, et qui dépasse largement le seul discours oral. Conclusion 11 ne faut pas se cacher les difficultés soulevées par la mise en place d'une politique éducative se fixant pour objet (entre autres) une nouvelle définition des normes pédagogiques qui conditionnent, dans une large mesure, le visage de l'école africaine du XXle siècle : une école mieux insérée dans son milieu social, économique, linguistique et politique. La tâche la plus urgente est peut-être la formation des maîtres qui sont actuellement les vecteurs inconscients de cette norme endogène, référence de plus en plus obligée de l'enseignement-apprentissage du français en Afrique noire francophone. Elle consiste à remplacer une norme (exogène) par une autre, ce qui est toujours périlleux. Il s'agit, en réalité, de permettre aux apprenants, et à leurs formateurs, de passer d'un usage spontané à un usage contrôlé, autrement dit d'être capables de prendre conscience des usages du français, de tous ses usages, par la prise de mesure des écarts qui les différencient, d'une région à l'ature, d'un pays à l'autre, d'un groupe social à l'autre, etc. 8